Prolongement mensuel de la revue du centenaire notre série « acteurs de l’histoire » est votre nouveau rendez-vous avec les femmes et hommes qui ont fait ou font l’école. Rendez-vous le troisième jeudi du mois pour un focus sur une séquence historique, une trajectoire, une personnalité marquante dans la construction de Mines Nancy. Départ lancé avec Jean GOBERT (N1920) pionnier lorrain de l’exploitation minière.

Cet élève est un exemple du courage nécessaire au métier de mineur, même lorsque l’on est ingénieur, il décède dans un accident du travail à l’âge de 33 ans. Cette vie de danger fait dire à Marcel DEMONQUE en 1945 :

L’âpreté du métier, son austérité l’ont enfermé dans un ensemble de traditions professionnelles et dans un esprit de corps où il entre presque de la mystique. Ce sont ces traditions, qui, dès leur scolarité, créent entre les ingénieurs un lien qui sans les isoler dans le monde industriel, leur donnent pourtant un sens profond de leur particularisme.

Le lorrain

Jean GOBERT est né le 2 avril 1900. De famille lorraine, il fit toutes ses études à Nancy sa ville natale, au Lycée Poincaré, pendant la guerre, sous l’impression de la proximité de l’ennemi et du danger constant.

En 1920, il fut admis à l’École des Mines de Nancy; il en sortit 7ème en 1923. Sous-lieutenant d’artillerie de 1923 à 1924, il entrait en 1924 comme ingénieur à la Société Houillère de Sarre et Moselle, où il devait rester pendant près de dix ans jusqu’au jour de l’accident dont il fut victime le 2 septembre 1933.

Jean GOBERT était un Lorrain de vieille souche, son trisaïeul, M. HERLE, originaire de Sarralbe, était capitaine d’artillerie de la Garde de Napoléon 1er et fut plus tard percepteur de Rohrbach. Jean GOBERT avait à cœur de nouer des relations cordiales, entre les jeunes gens de sa province bien-aimée et ceux de l’intérieur. En février 1925, il réunissait une dizaine de ses amis et fondait l’Union Lorraine qui, grâce à ses efforts, n’a cessé de prospérer puisque en 1933 elle comptait cent quarante membres. Chaque année depuis sa création, l’Union Lorraine l’a, à l’unanimité de ses membres, maintenu dans ses fonctions de Président.

Sa carrière

Il entrait en 1924 comme ingénieur à la Société Houillère de Sarre et Moselle, où il devait rester pendant près de dix ans jusqu’au jour de l’accident dont il fut victime. Attaché d’abord au Bureau d’Études du Fond, il se vit confier bientôt la tâche délicate d’introduire le havage mécanique au Siège de Sainte-Fontaine par grosse haveuse ripante, tel qu’il était pratiqué depuis longtemps en Angleterre; les premiers essais en 1921-22 dans ce même gisement avaient été réputés infructueux. Jean GOBERT, après plusieurs voyages d’études en Belgique et en Angleterre sut indiquer, avec sa ténacité souriante, aux fournisseurs, souvent difficiles à convaincre, les modifications nécessaires à leur matériel pour l’adapter à la nature des charbons de Sainte Fontaine. Il choisit son personnel et, patiemment, créa les cadres nécessaires de chefs haveurs, haveurs, ouvriers d’entretien. Quand il quitta ce service, l’exploitation du siège de Sainte-Fontaine était presque entièrement assurée par grosses haveuses ripantes. Il avait su, dans cette tâche délicate, apporter un esprit d’observation très avisé et des aptitudes remarquables au commandement.

Son travail à Merlebach

Les veines de cette mine ont la particularité d’être en dressants et n’étaient pratiquement pas exploitées dans les autres gisements européens, compte tenu des difficultés techniques inhérentes au pendage, mais le siège de Merlebach, du fait de la richesse de ce gisement, n’avait pas d’autre ressource que son exploitation, ce qui obligea les ingénieurs, techniciens et mineurs à inventer des méthodes spécifiques sans pouvoir bénéficier d’expériences similaires. Par contre, les technologies ainsi développées furent exportées, notamment en Union Soviétique. En résumé, un réseau de galeries dites « travers-banc » était creusé à chaque étage mis en exploitation, recoupant perpendiculairement tous les 400m le faisceau de veines successivement attaquées en abattant le charbon par en dessous, et en le remplaçant au fur et à mesure par un remblais de sable. Cette méthode très particulière a été rendue possible grâce à la présence sur place du grès vosgien où le siège pouvait extraire, dans d’immenses carrières, son sable de remblayage, ce qui faisait dire à M. Cuvelette, président du Conseil d’Administration de Sarre et Moselle : « La fortune du siège de Merlebach réside dans l’heureuse coïncidence de couches puissantes du houiller et du sable du grès vosgien en surface« .

Ce fut Jean GOBERT qui fut affecté au service difficile des puits et du remblayage hydraulique du siège de Merlebach; il y apporta ses qualités de travail, de méthode et d’observation; un plan d’ensemble fut dressé, puis toutes sortes d’améliorations de détail rendirent toujours plus régulière et coordonnée l’exploitation des carrières de sable. En 1931, il commença à introduire, sur la demande de la direction, l’emploi de l’oxygène liquide, comme explosif à la carrière, en remplacement de la dynamite, pour le débitage des blocs. Il s’y appliqua avec un scrupuleux souci de la sécurité de ses ouvriers.

Un premier accident vint l’instruire de difficultés que n’avaient pas rencontrées ses collègues d’autres carrières des usines métallurgiques de la Société Wendel ou de la Société Solvay. Après étude de ses causes et consultation d’experts, on fut certain d’écarter son retour et les tirs furent repris. Il avait à cœur d’être auprès d’eux pendant chaque opération de tir afin d’être certain que serait évitée toute imprudence dangereuse. Alors qu’il pouvait avoir confiance dans l’organisation minutieuse du tir qu’il avait patiemment mise sur pied, le 2 septembre 1933, l’explosion prématurée d’une cartouche à la carrière Barrois entraînait la mort du boutefeu MERGEN, des aides PFLUMIO, ADAMUS et FERRARI, du porion FENARD, et couchait l’ingénieur Jean GOBERT auprès de ses ouvriers qu’il aimait tant.

A Sarre et Moselle les ingénieurs non mariés vivent ensemble au Cercle, « c’est à la fois une couvent, une popote de guerre et une famille où tout nouveau est accueilli avec cordialité, en camarade. Jean GOBERT resta neuf ans le compagnon de nos joies, de nos plaisirs », dit son camarade Marx, « sa mort fut belle, car elle fut celle du soldat qui meurt debout, à son poste, en plein exercice du devoir que lui a dicté sa conscience de chrétien »

L’hommage de Pierre Hamp

Pierre HAMP est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages sur la condition ouvrière et son époque. Il est aussi l’auteur d’enquêtes pointues, dont une sur les mineurs (Gueules noires), il avait pour cela rencontré Jean GOBERT, il écrit :

Vos jeunes ingénieurs ont été pour moi si aimables, si confiants, m’ont montré l’exemple d’une telle probité au travail que toute peine qui est leur, est mienne. Un accident de métier n’a dans la presse que quelques lignes d’oraison funèbre; seize hommes qui tombent, couchés par une explosion, six d’entre eux qui ne se relèveront jamais, cela est moins retentissant qu’un crime dans l’opinion. Mais il y a des esprits qui, malgré l’aberration de la presse, savent voir où est l’honneur d’une nation, et quel respect est dû à ses hommes au travail. Six familles en deuil pour une cartouche qui explose mal, que de sentiments créés en une seconde par le caprice de la matière ! Le métier qui contient une telle fatalité confère à ceux qui l’exercent une grande noblesse.

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Sources :

  • Archive de Mines Nancy : dossier et Biographie
  • Le siège de Merlebach – Inist – n°2 juin 2003
  • Haveuses dans les mines – Asseline Toussaint 2014

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